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En interne, nous n’avons jamais parlé de boycotter ce Mondial. Nous
sommes journalistes. Nous allons sur le terrain. La question se serait
posée si nos conditions de travail n’avaient pas été assurées. C’est
notre limite. Elle n’a pas été franchie
. »
Notre papier PRÉSENTATION titrait : La
planète foot au rendez-vous de la démesure.
Avons-nous réussi une couverture mesurée
de cet évènement planétaire ?
Nul doute que l’organisation des Qataris a été démesu-
rée en termes de budget, de construction de stades, d’in-
frastructures.
En ce qui nous concerne, nous avons su garder la bonne
mesure. À titre d’exemple, nous avions le même nombre de
personnes mobilisées que pour les éditions précédentes,
avec quelques ajustements ici et là en raison de la particu-
larité de ce Mondial : un site unique. Car tout s’est passé
au même endroit. En texte, 57 journalistes ont travaillé en
six langues, dont 14 en français, 14 en anglais, 14 en alle-
mand (via notre filiale allemande SID), 8 en espagnol, 6 en
arabe et 1 en portugais, une cinquantaine de personnes
pour la photo dont une quinzaine d’éditeurs, et 15 JRI su-
pervisés par deux coordinateurs. Ces équipes ont tourné
en permanence et les effectifs ont commencé à être réduit
après les 8ᵉ de finale. Les journalistes qui suivaient telle ou
telle équipe sont rentrés lorsque ces dernières ont été éli-
minées
De fait notre organisation a été particulière un peu comme
pour des JO où tout se passe généralement au même en
droit Dhabitude pour un Mondial la logistique est com
plexe Nous avons des équipes dans plusieurs villes Il faut
se déplacer en avion réserver des hôtels un peu partout
souvent en dernière minute en fonction du résultat dun
match Mais au Qatar tout a été simple et pratique Nous
avions une grande agilité Nous logions au même endroit
dans une trentaine de maisonnettes conçues pour ac
cueillir quatre personnes Nous navions à nous déplacer
quen navettes ou en voitures Cela nous a permis une plus
grande réactivité rédactionnelle Suivre une équipe était
facile même en cas de victoire inattendue comme celle
de lArabie saoudite sur lArgentine Même chose pour les
conférences de presse qui se tenaient dans le centre de
presse principal avec le sélectionneur et le capitaine de
chaque équipe Nous étions physiquement à une trentaine
de mètres de l’auditorium. Alors, à l’exception d’une panne
internet due aux organisateurs, notre couverture s’est dé-
roulée sans le moindre accroc.
Côté innovation, c’est sur les robots que nous avons investi
et réalisé les progrès les plus importants et significatifs en
intégrant une technologie de tracking grâce à l’utilisation
de data. Cette évolution a permis à nos robots fixés dans
les passerelles des stades de suivre automatiquement les
meilleurs joueurs pour une production photos originale et
dans le but, à terme, de produire un maximum d’angles sur
des actions spectaculaires ou critiques d’un match. C’est
un travail de fond qui sera poursuivi en 2023 sur plusieurs
compétitions.
RICHARD CARTER
ADJOINT À LA RÉDACTRICE-
EN-CHEF CENTRALE
MONDIAL AU QATAR
3 QUESTIONS À
EMMANUEL PIONNIER
CHEF DU DÉPARTEMENT
SPORTS
20 km 20 km
Sources Fifa ©Mapcreatorio©HERE
Golfe
de Bahreïn
Golfe
A R A B I E
S A O U D I T E
Q A T A R
DOHA
Stade 974
Stade Al Bayt
Stade Al Thumama
Stade International
Khalifa
Al Rayyan
Stade Ahmed Ben Ali
Al Khor
Al Wakrah
60 000 places
Inauguré en nov. 2021
40 000 places
40 000 places
Inauguré en nov 2021
Stade Lusail
80 000 places
Inauguré en sept. 2022
40 000 places
Rénové en 2017 Inauguré en déc 2020
Stade Education city
40 000 places
Inauguré en juin 2020
40 000 places
Inauguré en oct 2021
Stade Al Janoub
40 000 places
Inauguré en mai 2019
Lusail
Ce Mondial a-t-il été particulièrement
marqué par la politique ?
Ce n’est pas la première fois que la politique fait irruption
dans un Mondial. On l’a vu en Argentine (1978) ou en Russie
(2018).
Un fait notable est que cette intrusion du politique ne s’est
pas arrêtée avec le coup d’envoi de l’évènement. On l’a vu
à plusieurs occasions, notamment lorsque les Iraniens ont
refusé de chanter leur hymne national en soutien à la cause
des femmes dans leur pays ou que les Allemands ont mis
la main sur leur bouche, mimant ainsi les droits humains
étouffés au Qatar. Des responsables politiques, européens
notamment, ont arboré des symboles LGBT+.
C’est aussi la première fois qu’un pays arabe était organisa-
teur. On les attendait au tournant et les critiques émanant
de plusieurs pays occidentaux ont été parfois acerbes. Mais
l’organisation a été au rendez-vous et tout s’est très bien
passé.
Ce contexte politique sensible nous a aussi permis d’appré-
cier la valeur de notre réseau qui s’est montré particulière-
ment sensible et réactif à ces questions, y compris au Qatar
même. Nous l’avons vu avec la richesse des contributions
qui ont alimenté la couverture en amont et tout au long de
la compétition
La problématique du réchauffement climatique a été évi
demment traité bien en amont celle des travailleurs morts
sur les chantiers aussi Nous avons couvert tout cela depuis
Doha la région MENA avec la rédaction en chef Sports à
Paris À noter que la région MENA avait aussi sur les bras
la couverture de la COP NDLR la 27ᵉ Conférence des
Parties à la Conventioncadre des Nations Unies sur les
changements climatiques sest tenue en Égypte du 6 au 20
novembre 2022 Nous avons déployé un gros effort danti
cipation sur ces sujets et nous avons grandement apprécié
les contributions des bureaux
À propos des droits humains le bureau de Doha un direc
teur une JRI et des pigistes a été renforcé dès mars par
une journaliste des Sports Le travail sur le terrain de cette
équipe sest bien déroulé en dépit de conditions compli
quées Nous avons ainsi par exemple été en mesure de
vérifier le chiffre de 6 500 travailleurs morts sur les chan-
tiers, avancé par le Guardian et ainsi le contester puisqu’il
s’agissait du nombre total de morts étrangers au cours des
dix dernières années, pas seulement dans le contexte de
la construction des stades et des infrastructures d’accueil.
À noter que nous n’avons pas rencontré de problème avec
les autorités locales, malgré une communication très com-
pliquée.
En interne, nous n’avons jamais parlé de boycotter ce Mon-
dial. Nous sommes journalistes. Nous allons sur le terrain.
La question se serait posée si nos conditions de travail
n’avaient pas été assurées. C’est notre limite. Elle n’a pas
été franchie.
D’ailleurs à un moment, nous avons oublié toute la poli-
tique et c’est le sport qui a dominé. C’est un fait : le foot
écrase tout, partout, avec des records d’audience.
Pour 2026, entre le Mexique, les États-
Unis et le Canada, il va falloir se préparer
différemment… ?
Très différemment. Au Qatar, chaque reporter a pu assis-
ter à une douzaine de matchs quasiment puisque tous les
matchs se jouaient dans la capitale ou sa périphérie Pour
le prochain Mondial ce sera bien plus complexe Première
ment ce Mondial se jouera sur trois pays immenses dans
16 villes avec plusieurs fuseaux horaires Ensuite on va
passer à un Mondial à 48 pays participants contre 32 pays
présents au Qatar À Doha le nombre total de matchs était
de 64 En 2026 il y aura entre 80 et 100 matchs selon le for
mat choisi par les organisateurs Donc il va nous falloir faire
des choix éditoriaux car nous ne pourrons pas couvrir tous
les matchs avec autant de journalistes en tribunes quà
Doha Cela va être plus compliqué également avec des
questions logistiques de déplacements notamment liées
à la taille des pays et à la problématique nordaméricaine
des fuseaux horaires
Mondial 2022 : climatiser les stades,
la nouvelle « norme » pour le Qatar
Au Qatar, le rêve d’une vie meilleure tourne
parfois au cauchemar