100 jours de guerre vus par les Ukrainiens 1224
Le croisement de l'enquête sur le terrain et de l'investigation numérique permet d'écarter l'hypothèse d'une mise en scène par les
forces ukrainiennes.
siment en permanence. Tous sont épaulés par un groupe
d’éditeurs composé de deux journalistes à Varsovie et un
au Royaume Uni. Leur rôle est entre-autres de récupérer
les hand out (photos mises à la disposition des médias par
les institutions) et les discours quotidiens de Volodymyr Ze-
lensky.
Sécurité, sécurité, sécurité
Les accusations occidentales de crimes de guerre commis
par l’armée russe, fusent. Fin mars, les États-Unis accusent
la Russie « d’attaques aveugles, visant délibérément des ci-
vils, ainsi que d’autres atrocités».
Face à la farouche résistance ukrainienne, les troupes
russes se déploient fin mars vers le Donbass et vers le sud,
ce sont ces conseillers qui guident nos journalistes. Le sa-
medi 2 avril, dans une rue de Boutcha, une ville située au
nord-ouest de Kiev, l’équipe texte, photo et vidéo découvre
avec eux des dizaines de cadavres, tous des civils.
« Nous en avons d’abord aperçu trois, gisant à terre comme
des tas de chiffons », raconte Danny Kemp, l’un de nos trois
envoyés spéciaux sur place.
« Notre chauffeur a pilé et nous nous sommes précipités. Une
longue route grise s’étirait devant nous sous un ciel ukrai-
nien aux mêmes tonalités. Les corps de ces trois hommes
étaient allongés à proximité de matériel de construction
et de palettes en bois. En se rapprochant on distinguait les
mains de l’un d’entre eux, attachées dans le dos. »
La question de la sécurité des journalistes qui se déplacent
sur le terrain des hostilités est une priorité. Nous faisons ap-
pel à des conseillers de sécurité. Ils sont trois aujourd’hui
et nous aident à trouver le chemin le plus sûr pour nous
rendre là où la couverture l’exige.
Nous n’y serions par arrivés sans ces conseillers. Ils ne sont
pas armés mais connaissent parfaitement le terrain Ce
sont danciens militaires certains ont été dans la Légion
étrangère
Pour une sécurité encore accrue nous inaugurons en dé
cembre 2022 un nouveau bureau complètement autonome
au niveau électrique plus spacieux conçu pour faire office
dabri antiaérien et disposant dun accès Internet par sa
tellite
Être à lécoute
Moins dun mois après le début de linvasion la production
de lAgence fait état des traumatismes de ceux qui sont
témoins des atrocités et de la nécessité de les aider à sor
tir de leffroi
Pour nos journalistes le sujet aussi est brûlant
Travailler dans de bonnes conditions lever le pied en allant
se mettre au vert par exemple à Varsovie est un impératif
tout comme veiller à leur santé psychique. Nous leur pro-
posons, si besoin est, un soutien dans ce domaine. Il est
important de prendre le temps d’écouter nos journalistes
lorsqu’ils rentrent de mission. Beaucoup en ressentent le
besoin. Une fois qu’ils sont reposés, un point est fait, des
questions sont posées sur ce qu’ils ont vécu, leur ressenti.
Parfois, ils pleurent, parfois ils manifestent de la colère, des
changements d’humeur. Ils savent qu’ils peuvent s’adres-
ser aux psychologues de la plateforme EUTELMED que l’AFP
a contractée à cette fin. C’est une grande évolution au sein
de l’Agence.
L’autre front : la désinformation
Deux mois environ après le début de l’invasion, le front de
la désinformation s’échauffe. Le G7 est appelé à s’unir en
faveur d’un « mécanisme de réfutation rapide » des fausses
informations qui proviennent du monde entier, en particu-
lier de Russie et d’Ukraine. à la guerre sur le terrain, s’ajoute
une guerre de propagande classique. L’un accuse l’autre de
crimes de guerre sans qu’il y ait de recours à des fake news
et des deep fakes en bonne et due forme. La Russie cache
de moins en moins qu’elle mène de facto une guerre contre
l’Occident.
Le sujet est délicat pour le bureau de Moscou et nous dé-
cidons très vite qu’il est souverain pour décider de ce qui
est ou non publiable. En aucun cas, sa copie ne doit être re-
touchée par le desk international ou par un bureau de la ré-
gion. Nous avons cessé de signer les papiers produits dans
la capitale russe afin de protéger les rédacteurs.
Il y a des sujets russes qui sont traités en dehors de la Rus-
sie puisqu’une loi russe réprime les journalistes qui donnent
des informations jugées compromettantes pour Moscou. Par
exemple, la question du mécontentement de certains géné-
raux de l’armée russe. Nous la traitons de Paris avec nos spé-
cialistes des questions de Défense. Même chose pour tout ce
qui touche à la santé de Vladimir Poutine que Washington a
géré. Il n’y a pas d’information crédible à ce stade.
Une muraille éditoriale est volontairement dressée entre
Moscou et Kiev de façon à ce que personne, dans la capitale
russe, ne puisse relire la production ukrainienne, sachant
qu’à Moscou, on ne parle pas de guerre mais d’invasion, de
conflit et d’opération spéciale. Côté ukrainien, nous avons
dû expliquer et faire accepter aux autorités la nécessité de
se rendre à Marioupol occupée par les Russes. Nous avons
aussi coupé tout lien organique avec l’agence de presse
russe Sputnik que nous ne distribuons plus via nos plate-
formes AFP Forum et AFP News. Côté russe, les conditions
d’obtention de visa ont été durcies. Ils ne sont plus valables
un an mais renouvelables tous les trois mois.
Personne ne sait combien durera ce conflit. Les équipes
sont conscientes qu’il va encore falloir du souffle. Elles n’en
manquent pas
Ukraine : à Kharkiv, un quotidien sous les bombes (03:37)
En 2022 le site AFP Factuel a publié plus de 1 230 factchecks en 2022 sur linvasion russe