Christelle Pourrot
Afrique du Sud : La médecine des osselets sort de l'ombre
26 mars 2014
Des osselets, des coquillages, parfois aussi des dés ou des pièces de monnaie : la panoplie du guérisseur-devin, le « sangoma » traditionnel en Afrique du Sud, a conservé sa part d'ombre.
À Soweto, le plus grand township noir près de Johannesburg, « mamie » Mahlasela Matcheke reçoit dans une maison au carrelage d'un blanc immaculé. Sa salle de consultation est tapissée de bocaux transparents, soigneusement rangés dans des étagères à la propreté étincelante, scrupuleusement étiquetés, kaléidoscope coloré de poudres, racines pilées, graines, prêtes à être prescrites à des patients qu'elle commence toujours par examiner physiquement avant de pratiquer la divination, notamment en « jetant les osselets ». On est loin du cliché du sangoma d'autrefois, gesticulant avec des bâtons devant sa hutte de paille au bout d'une piste en terre défoncée.
Si ce type de guérisseur existe toujours, la médecine traditionnelle africaine attire désormais une nouvelle génération de praticiens et de patients. Nokulinda Mkhize, 28 ans, diplômée de sciences sociales, s'est mise à son compte depuis cinq ans et consulte ses patients par Skype. Environ 7 000 personnes la suivent sur Twitter (@noksangoma) et son site Internet réunit une boutique en ligne, sa biographie et des articles de journaux qu'elle a écrits. Les nouvelles technologies étaient « une étape logique et naturelle » pour être « plus accessible » aux patients, explique cette jeune femme dont la vocation, dit-elle, est « un destin, un appel ».
Il est difficile de savoir combien de Sud-Africains consultent un guérisseur. Le chiffre qui a longtemps circulé de 60 à 80 % de la population a été jugé excessif. Mais il est clair que des millions de Sud-Africains consultent régulièrement des dizaines de milliers de sangomas à travers le pays. Il y a quatre ans, l'économiste Myles Mander de Durban s'était essayé à estimer le marché de la médecine africaine traditionnelle avec des collègues. Ils ont conclu à un chiffre d'affaires annuel de près 280 millions de dollars.
« Cela marche magnifiquement »
« Il y a une forte demande pour cette médecine et cela ne diminue pas », constate-t-il. Pour beaucoup, c'est une alternative – bon marché et digne de confiance – à la médecine occidentale, alors que les dispensaires publics marchent mal et les médecins privés coûtent trop cher. Complètement ignorée du temps du régime raciste d'apartheid, la médecine traditionnelle africaine connaît donc un début de reconnaissance. On trouve certaines herbes médicinales, empaquetées avec soin dans des sachets, dans le réseau des pharmacies conventionnelles. Une médecin généraliste de Johannesburg, qui préfère rester anonyme par peur d'être radiée, confie qu'elle n'hésite pas à en prescrire.
Pour autant, le secteur reste dramatiquement sous-réglementé. Rien ne garantit l'efficacité ni l'innocuité de cette médecine, et rien ne permet non plus de combattre le charlatanisme. Fin 2013, l'Afrique du Sud a lancé un processus de certification pour toutes les médecines « complémentaires » d'ici à 2019 : chinoise, indienne, ayurvédique, aromathérapie. Paradoxalement, la médecine traditionnelle africaine a été laissée de côté. Pourtant, nombreux sont encore les guérisseurs prétendant avoir le pouvoir de vous rendre plus riche. D'autres qui alimentent la presse tabloïd en faits divers où le comique le dispute au sordide tant la crédulité du patient a été abusée. Les publicités douteuses pour l'allongement du pénis ou le raffermissement du vagin sont légion, et la frontière avec la sorcellerie est parfois carrément franchie, quand ce n'est pas le sacrifice humain. « La médecine traditionnelle peut être dangereuse. Beaucoup de ces remèdes contiennent des toxines extrêmement puissantes, souligne M. Mander. Elles font beaucoup de bien, mais des gens en meurent aussi. »
En savoir plus sur l'illustratrice :
"Née en 1990, j’ai très vite considéré ma bibliothèque comme mon habitat naturel, et laissé libre cours à ma boulimie de bandes dessinées. Après une licence d’anglais à Lyon et un semestre d’échange universitaire en Allemagne, j’ai intégré l’école Emile Cohl où je termine actuellement mes études d’édition, en troisième année, pour pouvoir réaliser mes propres illustrations et bandes dessinées."
Site : Elléa Bird Illustration
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