23 Abr 2025 - 11:17

MAKING-OF | « La guerre a tout emporté » : un journaliste soudanais de l'AFP de retour chez lui à Khartoum

Depuis près de deux ans, Abdelmoneim Abou Idriss Ali, journaliste à l'AFP, n'aspirait qu'à une chose : rentrer chez lui à Khartoum, la capitale soudanaise ravagée par la guerre, là où les rires enjoués d'enfants ont été remplacés par le crépitement des mitrailleuses.

Par Abdelmoneim Abou Idris Ali, avec Bahira Amin au Caire

 

Le 15 avril 2023, Khartoum s'est réveillée au son des bombes, marquant le début d'un conflit sanglant entre deux généraux naguère alliés : Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée, et son ancien adjoint Mohamed Hamdane Daglo, commandant des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

Les bombes ont réduit les habitations en ruines, les combattants ont investi les rues, forçant des centaines de milliers de personnes à fuir. Parmi elles, Abdelmoneim, son épouse, leur fils et leurs trois filles.

Le journaliste et sa famille ont été contraints de se déplacer à cinq reprises, fuyant à chaque fois que la ligne de front se rapprochait.

Agé de 59 ans, ce père de famille a finalement envoyé ses proches dans un autre pays africain pour leur sécurité, et lui s'est installé seul pour poursuivre son travail depuis Port-Soudan, devenue la capitale de facto sur la mer Rouge, où se trouvent les Nations Unies, le gouvernement, soutien de l'armée, et des centaines de milliers d'autres déplacés.

Ce n'est qu'en mars qu'il a pu retourner brièvement à Khartoum-Nord pour un reportage, escorté par l'armée après la reprise de la ville par celle-ci.

Après de longs mois d'absence, il a retrouvé son quartier bien-aimé, Bahri, désormais déserté.

« Le lieu est plongé dans un silence total, plus de discussions dans les épiceries, ni de match de football bruyants au coin de la rue, rien », dit-il.


 

Des voitures endommagées gisent dans une rue déserte de l'île de Tuti au Soudan, presque désertée après deux ans de guerre entre l'armée soudanaise et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF), le 19 avril 2025. © AFP

Comme un « tremblement de terre »

« La dernière fois que j'étais ici, les voisins étaient tous dehors, se disant au revoir, priant pour la sécurité de chacun et promettant que nous nous reverrions tous bientôt », ajoute-t-il.

A présent, leurs portes sont entrouvertes, les lits abandonnés dans la rue, probablement laissés là par des combattants des FSR qui les utilisaient pour dormir à ciel ouvert.

Depuis le début de la guerre, les paramilitaires sont réputés pour s'emparer et piller les maisons, vendre ce qu'ils y trouvent ou les garder pour eux-mêmes.

En arrivant devant sa maison, Abdelmoneim était envahi par une grande appréhension à mesure qu'il s'approchait du palier : « C'était comme si un tremblement de terre avait frappé. »

« Les meubles étaient renversés et éparpillés, des débris couvraient le sol », dit le journaliste.

Il avançait lentement de pièce en pièce, observant les dégâts. Le tissu de son canapé, témoins du passage des paramilitaires, était recouvert de brûlures de cigarettes. Les placards de ses filles ont été éventrés et vidés de toutes leurs robes.

Sur le sol de son bureau, parmi les restes de sa bibliothèque, gisait une photo de son mariage avec sa femme Nahla, dont l'image avait été déchiquetée.

« Je ne comprends pas qu'ils s'en prennent à mes livres et à mes photos de mariage », dit-il : « Je savais qu'ils avaient volé des meubles, mais je ne pouvais pas imaginer qu'ils détruiraient tout le reste. »

 

 

Abdelmoneim Abu Idris Ali, journaliste de l'AFP, tient sa photo de mariage alors qu'il cherche des documents dans sa maison du quartier Bahri de Khartoum Nord, le 17 mars 2025, lors de son premier retour depuis qu'il a été déplacé il y a près de deux ans. © Ebrahim Hamid / AFP


« Jamais revenir »

En mars, l'armée a repris Khartoum, « mais mes filles me disent qu'elles ne veulent jamais revenir », confie Abdelmoneim : « Comment pourraient-elles oublier ces nuits passées à se blottir les uns contre les autres dans le salon, terrifiées à chaque frappe aérienne ? ».

Des frissons parcourent son corps en repensant aux horreurs qu'ils ont vécues.

« Le jour où nous avons quitté Khartoum, il y avait des corps étendus dans la rue, et un vieil homme se tenait au-dessus d'eux, tentant de maintenir une bâche en place », raconte-t-il.

« Lorsque je me suis arrêté pour lui demander s'il allait bien, il m'a répondu: +J'essaie de tenir les chiens à distance+. J'aurais préféré que mes enfants ne voient jamais cela », lâche-t-il.

Pendant sept mois, Abdelmoneim a attendu la fin des combats à Wad Madani, au sud de Khartoum, espérant pouvoir un jour retourner chez lui.

« C'est lorsque j'ai compris que cela ne finirait pas avant des années que la guerre est arrivée à Wad Madani », a-t-il déclaré.
 

 

Un homme marche à l'intérieur du marché du camp de réfugiés soudanais de Touloum, dans la province de Wadi Fira, au Tchad, le 11 avril 2025. © Joris Bolomey / AFP


Misère et exil

Comme d'innombrables Soudanais pris entre les feux de la guerre, Abdelmoneim a perdu des membres de sa famille, ses économies et l'espoir d'un avenir quelconque.

« La guerre a tout emporté. Et tout ce qu'ils n'ont pas pris, ils l'ont détruit », dit-il.

Durant des années, il avait construit une petite ferme à la périphérie de Khartoum, bordé d'arbres fruitiers et de quelques plantations auxquelles il comptait consacrer son temps une fois retraité.

Les FSR ont tout saccagé.

La maison et les terres familiales, dans l'Etat agricole d'Al-Jazira (centre), ont été pillées, et l'approvisionnement en électricité et en eau a été coupé. Ses proches se sont retrouvés affamés, impuissants face aux exactions des FSR.

Al-Jazira et Khartoum sont désormais sous le contrôle de l'armée, mais les plaies que la guerre a ouvertes demeurent à vif.

Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et déraciné 13 millions d'habitants. Des centaines de milliers de personnes sont retournées dans les zones reprises par l'armée, préférant la misère chez elles à l'exil.

La plupart de ces régions manquent encore d'eau potable, d'électricité et de soins médicaux. Dans ce pays ravagé par la guerre, huit millions de personnes sont au bord de la famine.

Le Soudan reste divisé. L'armée contrôle le nord et l'est, tandis que les FSR dominent une partie du sud et la quasi-totalité de la vaste région du Darfour, dans l'ouest.

Même les rêves les plus modestes d'Abdelmoneim, comme ceux de nombreux autres, semblent désormais hors de portée. « Si cette guerre venait à se terminer demain, mon seul souhait serait d'abriter ma famille dans un lieu sûr où je pourrais cultiver en paix. »

 

 

De jeunes réfugiés soudanais jouent avec des mules au camp de réfugiés de Touloum dans la province de Wadi Fira, au Tchad, le 8 avril 2025. © Joris Bolomey / AFP