Au fil de l'AFP

MAKING-OF I Comment montrer l'euthanasie - Confiance, distance et dignité

 

Simon Wohlfahrt, photographe de l'AFP à Bruxelles, a été en contact pendant près d'un an avec Lydie Imhoff, une Française qui demandait l'euthanasie, avant de capturer en images, avec le vidéaste Dimitri Korczak, ses derniers moments en Belgique.

 

AFP picture by Simon Wohlfhart - Euthanasia

Marie-Josée Rousseaux, amie et soignante de Lydie Imhoff (à droite) serre celle-ci dans ses bras lors de sa fête d'adieu à Longwy, dans le nord de la France, le 31 janvier 2024.

 

Légale mais très encadrée depuis 2002, l’aide active à mourir y est entrée dans les mœurs, contrairement à la France, où le débat est vif avant l'examen d'un projet de loi prévu d’ici l’été. Les journalistes de l'AFP racontent ici leur relation avec Lydie Imhoff, les conditions dans lesquelles elle a accepté leur présence et les difficultés rencontrées face à ce sujet aussi grave que polémique.

 

PREMIER CONTACT

Au départ, c'est un médecin généraliste bruxellois qui s’occupe beaucoup de patients français venant en Belgique pour bénéficier d’une aide active à mourir, le Dr Yves de Locht, qui met en contact l'AFP avec Lydie Imhoff, raconte Simon Wohlfahrt.

Originaire de Besançon (est de la France), cette femme de 43 ans, hémiplégique de naissance, était aussi malvoyante et souffrait de la maladie de Crohn. Elle perdait progressivement l'usage de ses membres suite à un grave accident de handi-cheval, qui avait été sa passion.

 

 

Lydie Imhoff après sa consultation chez le psychiatre, à Bruxelles, le 16 mars 2023.

 

L'équipe de l'AFP la rencontre pour la première fois en mars 2023, lorsqu'elle vient consulter un psychiatre bruxellois afin d'obtenir le feu vert pour entamer la procédure. Lors de ce premier échange, les journalistes constatent immédiatement l'effet « libérateur » pour elle de la réponse positive du médecin. Et entrevoient déjà sa détermination et son humour - noir souvent. 

Pendant les 10 mois qui séparent ce feu vert théorique de l'euthanasie elle-même, le 1er février dernier, Simon Wohlfahrt échange avec elle de nombreux coups de fil et textos, et commence à prendre la mesure de la personnalité à laquelle il a affaire. 

« Elle m’envoyait régulièrement des blagues par messages, des mèmes, elle était vraiment portée sur l’humour », raconte le photographe. « Une fois, elle m’envoie une photo de son lapin avec des herbes de Provence dessus, en mode, +Cette fois-ci, il va finir en civet+. (...) Elle se moquait de nous aussi tout le temps, pour elle, on était ses paparazzi... »

Qu'est-ce qui l'a poussée à exposer ses derniers jours devant leurs caméras ? « Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait partir à l'étranger (...) Je pense qu'il y avait vraiment une critique de cet aspect », avance le photographe.

 

« RESPECTER SA VOLONTÉ »

 

AFP picture by Simon Wohlfhart - Euthanasia

Repas d'adieu pour Lydie Imhoff (au centre) à Longwy, dans le nord de la France, le 31 janvier 2024​.

 

Tout au long de ces échanges, les deux journalistes ont le temps de s'interroger sur ce qu'ils pourront montrer, ou pas, de ses derniers moments. Il était clair que Lydie serait « en total contrôle de son image », et pourrait demander à tout moment d'arrêter le reportage, dit Simon Wohlfahrt. « La base de tout ce reportage, c'était vraiment une relation de confiance. »  

« Un des points centraux évidemment, c'était : est-ce que l'on reste dans la chambre au moment de l'injection ? Et là, c'était tout à fait clair pour Lydie qu'elle ne voulait pas qu'on soit présent et qu'on la photographie à ce moment là. Voilà, c'est sa dignité, c'est son choix (...) On a juste respecté sa volonté et en fait, tout au long du reportage, ça s'est fait un peu comme ça : il y avait des moments qu'elle voulait garder pour elle. »

Même si elle blaguait beaucoup, « la souffrance était tellement à l'intérieur d'elle-même qu'elle ne voulait pas forcément la partager avec nous », dit Dimitri Korczak. « Ce qui a rendu le chemin qu'on a parcouru avec elle encore plus touchant, puisqu'elle nous a offert cette opportunité de l'accompagner sans nous donner le plus dur. Le plus dur, elle l'a gardé pour elle. » 

 

SUJET CLIVANT

Mais malgré la confiance établie avec les journalistes, l'euthanasie reste un sujet polémique, ce qui a compliqué le reportage. « C’est tellement controversé que des gens ne voulaient pas apparaître à la caméra, pour ne pas être associés à ce sujet », dit Simon Wohlfahrt. « On a eu des aide-soignants qui s’occupaient de Lydie qui ne voulaient pas apparaître (...) Il a fallu discuter avec les gens, les rassurer. Certaines personnes ont accepté, d’autres non. »  

Même l’hôpital belge où s'est déroulé la procédure ne voulait pas être identifié, de peur de voir de nombreux Français les appeler pour se renseigner sur la procédure d'euthanasie. Dans ce contexte clivant, les deux journalistes se voulaient avant tout des témoins, des « observateurs » décidés à garder une certaine distance avec Lydie. 

« Malgré l'attachement que j'ai pu avoir, tous les moments qu'on a eus, où on a rigolé, où on était hors champ (...), on avait quand même cet objectif journalistique de ramener quelque chose qui collait le plus à la réalité », dit Dimitri Korczak. 

« On a simplement raconté l’histoire d’une personne, parmi des dizaines de Français chaque année qui viennent en Belgique pour bénéficier de cette procédure », poursuit-il. « On a essayé de la montrer avec le plus de dignité possible, le plus de respect possible, sans être voyeurs. » 

 

« SE RÉFUGIER DANS LA CAMÉRA »

Face aux émotions que suscite un sujet aussi lourd, « sur le moment, on se réfugie un peu dans la caméra, dans le travail », dit Simon Wohlfahrt. Mais une fois rentrés chez eux, quand ils visionnent leurs images, l'armure tombe.« "C'était un moment extrêmement fort. Et je pense que d'avoir été là, c'est sûr que ca ne laisse pas indemne », dit le photographe. 

Dimitri Korczak dit avoir été « bouleversé » pendant plusieurs jours. « Ça m'est arrivé de juste regarder les images pour la revoir », revoir son regard « très doux », qui « nous traversait d'une certaine manière ». Le reportage terminé et diffusé (les 9 et 14 février, sous le titre « Les derniers instants de Lydie, Française partie mourir en Belgique »), ils espèrent avoir rendu un bel hommage à une « femme exceptionnelle ». Et avoir réussi à transmettre « un peu de cette émotion » qui les a eux-mêmes ébranlés, dit Simon Wohlfahrt.

 

Propos recueillis par Michaëla Cancela-Kieffer à Bruxelles, édités par Catherine Triomphe à Paris.

 

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Un des accompagnants, Denis Rousseaux, dans la chambre d'hôpital de Lydie Imhoff après la procédure d'euthanasie, le 1er février 2024.