Au fil de l'AFP

Guerre Israël-Hamas : « Le seul parti pris de l’AFP est celui des faits »

Répondant aux critiques, notamment celle accusant l’Agence France-Presse de ne pas être impartiale dans la couverture du conflit, Fabrice Fries, son PDG, rappelle la ligne qui guide les journalistes sur le terrain : « Témoigner en s’affranchissant de tout biais. »
La tribune de Fabrice Fries, PDG de l'AFP

 

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, la production des grands médias internationaux est scrutée au quotidien. L’Agence France-Presse (AFP) n’échappe pas à l’exercice, quand bien même sa production n’est pas destinée au grand public mais aux médias, ses clients. A Paris, les critiques convergent pour faire revivre cette vieille idée que l’acronyme d’AFP désignerait en réalité l’Agence France-Palestine. Mais le lecteur français sera peut-être surpris d’apprendre que la critique autrement plus répandue qui est faite à l’agence, et pas seulement au Moyen-Orient, fait d’elle un agent d’Israël.

Une prudence excessive, qui cacherait un biais, est souvent reprochée à l’agence. A Paris, on stigmatise ses pudeurs sémantiques à qualifier le Hamas de groupe terroriste, et tant pis si cela fait plus de vingt ans que l’agence applique cette règle à tout mouvement, aussi horrible soit-il. A Beyrouth, on s’étonne qu’elle attende d’avoir toutes les preuves pour attribuer à Israël le tir qui a grièvement blessé une de ses photographes ou visé son bureau de Gaza. Et tant pis si c’est parce que l’agence applique ici ses règles en matière d’attribution des responsabilités.

Ou alors, un défaut d’attention, un manque de réactivité sont pointés du doigt, comme ce retard à rendre compte d’une projection organisée par les autorités israéliennes. Et tant pis si l’agence, parce qu’elle dispose d’une équipe permanente sur place, avait dès les premières heures décrit les atrocités du 7 octobre avec ses propres images, ses propres mots, sans fard. Isoler un sujet, une dépêche, et concentrer son tir sur cette seule pièce du puzzle pour discréditer l’ensemble d’une couverture est l’assurance d’un combat inégal. Au crédit des détracteurs, il est vrai qu’il est difficile d’avoir une vision exhaustive de la production, sachant que l’agence diffuse chaque jour 4 000 dépêches, 3 000 photos, 300 vidéos.

 

Sous la pression du temps réel

L’agence est à l’écoute de toutes les critiques et d’ailleurs le débat est vif en son sein, comme il l’est dans beaucoup de rédactions partout dans le monde. L’AFP n’a aucun problème à se reconnaître perfectible. Ses dépêches sont parfois actualisées plusieurs fois par heure, à mesure que l’actualité couverte se précise, et ces actualisations montrent en toute transparence les corrections apportées. Elle a déjà reconnu publiquement des erreurs factuelles et des choix éditoriaux discutables. Elle mesure sa responsabilité toute particulière à Gaza où les médias sont souvent totalement dépendants d’elle, faute de pouvoir y être présents par eux-mêmes. Parce que la complexité du conflit n’est plus à démontrer, elle redouble de vigilance et n’a pas attendu pour envoyer des renforts à son bureau de Jérusalem et à son centre régional de Nicosie. Et elle procède au quotidien à son autocritique, puisque c’est le rôle de son rédacteur en chef chargé de l’éthique et des principes rédactionnels d’étudier la production, préciser les consignes, demander qu’on corrige certains déséquilibres. Il ne s’en prive pas.

Ouverte à la critique, l’agence aimerait aussi parfois un peu de compréhension pour la difficulté du travail de ses journalistes sur le terrain. Ses équipes travaillent sous la pression du temps réel, les choix éditoriaux se font dans le feu de l’action : le temps de la breaking news n’est pas celui du commentaire une fois que toute l’histoire s’est déroulée. Ses journalistes travaillent dans un contexte de désinformation massive, d’instrumentalisation de l’information par tous les camps. Comme si cela ne suffisait pas, ils savent maintenant qu’ils sont sous surveillance constante, que leur production sera disséquée sur les réseaux sociaux et pourra leur valoir d’y être harcelés, quand ils ne sont pas menacés sur leur lieu de reportage pour leur appartenance supposée à un camp.

Enfin, des erreurs ne font pas un parti pris. L’accusation de biais peut être un poison mortel et le statut de l’agence, inchangé depuis 1957, est limpide à cet égard : son article 2 dispose que « l’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ». Cette mission de dire les faits est précieuse, étonnamment moderne. La couverture du conflit en cours, assurée par cinquante journalistes à Jérusalem, Ramallah et Gaza est, dans l’ensemble, impressionnante par le nombre des sujets traités, la variété des angles, la touche humaine donnée au reportage : l’AFP est une agence mondiale dont les Français peuvent être fiers.

Information et politique ne faisant pas bon ménage, l’agence est déterminée à rester dans son couloir d’expertise. Le seul parti pris de l’AFP est celui des faits, ses journalistes doivent témoigner en s’affranchissant de tout biais. Comme le disait Charles Péguy à propos de l’affaire Dreyfus, « il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ».

Fabrice Fries, PDG de l’AFP