Au fil de l'AFP

World Press Photo : fierté et tristesse mélangées pour le photographe de l'AFP distingué

Un jeune homme transformé en torche humaine, courant pour échapper aux flammes, un masque à gaz sur le visage, lors des violentes manifestations au Venezuela : c’est l’une des images percutantes du photographe de l’AFP Ronaldo Schemidt, qui figure parmi les six finalistes pour le prestigieux World Press Photo 2018. 

L’image de ce manifestant sans visage est symbolique d’un pays tout entier qui s’enfonce dans le chaos, où les affrontements violents ont fait 125 morts en 2017.

Photographe vénézuélien de 46 ans, Ronaldo Schemidt a quitté son pays il y a 18 ans, où il a toujours sa famille et des amis. Il travaille désormais au bureau de l’AFP à Mexico.

Il raconte comment il a capté cette puissante image, les sentiments contradictoires que sa nomination a fait surgir chez lui, et son expérience de la crise sans fin qui touche le Venezuela.

Q: Dans quelles circonstances cette photo a-t-elle été prise?

"C’était le 3 mai dernier lors d’une journée d’affrontements très intense. Des jeunes portant des masques, boucliers et casques, sont parvenus à renverser une moto des forces de l’ordre sur laquelle circulait deux gardes nationaux. Ces policiers se sont défendus à coup de poings contre les manifestants. Deux véhicules blindés ont alors surgi pour écarter les manifestants, ils ont roulé sur plusieurs d’entre eux. C’était la scène la plus violente à laquelle j’avais assisté depuis que j’étais à Caracas.  Pour les jeunes, cette moto était une sorte de trophée. Je me suis approché, j’ai fait plusieurs photos. J’ai vu que le réservoir de la moto était en feu et que c’était dangereux de rester là. J’ai décidé de m’éloigner. À ce moment-là, la moto a explosé dans mon dos. J'ai juste senti l'explosion, la chaleur. Je me suis aussitôt retourné et j’ai pris plusieurs clichés de façon instinctive, sans vraiment savoir ce qui se passait.

"J'ai seulement réalisé quelques secondes plus tard que c'était une personne en feu.

Quand j'ai vu ensuite les photos, ça m’a choqué de penser à ce jeune homme, à la nature de l’incident, et au niveau de violence que le conflit avait atteint."

Q: Quelle est la situation dans le pays?

"La situation économique, politique et sociale est terrible. Les violences criminelles sont hors de contrôle. Mais les gens sont fatigués, ils se sentent foutus, vaincus, impuissants, il y a un sentiment général d'abattement.

Q: Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez l'un des six finalistes du World Press Photo 2018?

«J'ai ressenti des émotions contradictoires. Bien sûr, il y a de la satisfaction sur le plan professionnel, et en même temps on reste inquiet pour ce qui se passe dans ce pays où j’ai des amis, de la famille.

«Ma famille vit tout cela dans sa chair. Par exemple, mes parents, qui sont âgés, ont besoin de certains médicaments qu’ils ne peuvent pas trouver. Et quand ils les trouvent, ils sont trop chers pour eux et impossible à acheter. Ils souffrent de la pénurie de nourriture, ils ne peuvent pas manger ce qu'ils veulent, ils se contentent de ce qu'ils trouvent.

Q: Qu'est devenu le jeune homme sur la photo?

J’ai appris qu'il s'était rétabli et je l'ai vu sur une vidéo postée sur internet, le montrant durant sa convalescence à l’hôpital.

Pendant des jours, cette image de lui en flammes est restée dans ma tête ».