Une cinquantaine de portraits et une cinquante de pages de témoignages confiées à Yannick Pasquet qui a notamment couvert les derniers procès de nazis lors de son précédent poste à Berlin. Hasard de la vie, elle dirige le bureau d’Athènes où justement il ne reste aujourd’hui plus aucun survivant des Juifs de Thessalonique qui soit en mesure de s’exprimer.
Pour la rédaction du grand format, « l’idée était de faire de chaque témoignage quelque chose de personnel et qui nous fasse accéder à une forme d’universalité de la condition humaine. Dès la première lecture, une phrase m’a sauté aux yeux quand Marta Neuwirth déportée à l’âge de 15 ans à Auschwitz où elle a vu les femmes partir sans un cri à la chambre à gaz demande : + Comment le monde a-t-il pu permettre cela ? + Elle nous fait accéder, au-delà de son témoignage personnel, à la question fondamentale qui hante le monde depuis 1945. Un autre exemple est celui du Canadien Pinchas Gutter, 92 ans, né en Pologne, déporté notamment à Majdanek, qui raconte l’histoire de sa sœur jumelle assassinée à 11 ans dont il n’a plus qu’un seul souvenir, celui de sa tresse blonde : tout est dit, on peut tous, partout dans le monde, comprendre et s’identifier à un témoignage comme ça », dit Yannick Pasquet.
« Lire tous les témoignages a pris un temps considérable, c’était éprouvant », poursuit-elle, « et en même temps, malgré ce qu’ils ont vécu, malgré l’état sombre du monde actuel, ces survivants ont tous un message d’espoir, ils sont porteurs d’espoir ».

Naftali Fürst, Israélien de 92 ans né à Bratislava, déporté dans quatre camps dont Auschwitz-Birkenau, se rend depuis des années en Allemagne, en Autriche, en République tchèque et ailleurs. Des visites et des interventions « pour que les jeunes générations n'oublient jamais ce qu’il s’est passé ». - Haïfa, Israël - © Menahem Kahana / AFP
Suivant la même « charte image » que la photo, avec les mêmes quatre questions que le texte, une douzaine de portraits vidéos ont été réalisés. « Les témoignages étaient tellement forts que, pour la vidéo digitale long format, l’idée de faire un sujet où seuls les intervenants parlent, sans bandeau de contexte ou de narration, s’est vite imposée », explique Gabrielle Chatelain, adjointe vidéo à la rédaction en chef centrale. Un sujet de 12 minutes qui s’achève « naturellement » sur la Française Julia Wallach. Les images brutes de cette survivante de 99 ans déportée à Auschwitz sont à première vue à la limite de l’exploitable et pourtant tellement fortes. Elle a parfois du mal à parler, s’arrête, s’emmêle. Sa petite-fille essaye de la guider, la gronde gentiment, la taquine, l’embrasse : la vie. Et raconte à sa place l’histoire de sa grand-mère : la transmission.